La situation d’urgence qui s’est installée cette année dans le monde entier a mis en évidence les inégalités qui existent dans les sociétés du XXIe siècle. Les groupes de population les plus vulnérables sont les plus touchés, non seulement par la crise sanitaire que chaque pays affronte de différentes manières, mais aussi par la crise économique et sociale qui selon les prévisions sera de grande ampleur.
En général, les discours des gouvernements s’adressent à une population idéale composée de familles intégrées affectivement, comptant avec des emplois stables et un relatif bien-être économique, capables de subvenir à leurs besoins alimentaires, vivant dans une maison qui peut les abriter pendant longtemps, travaillant à domicile et accompagnant l’éducation à distance de leurs enfants, grâce au fait qu’elles disposent d’ordinateurs et d’une connexion Internet. Malheureusement, la réalité quotidienne de la plupart des enfants et de leurs familles est bien différente.
En raison de la pandémie, les autorités ont procédé à la fermeture des centres éducatifs et ont promu l’enseignement à distance. Ces mesures ont signifié bien plus que la perte de classes puisqu’elles ont également porté atteinte aux soins qui accompagnent l’éducation, en particulier ceux de la petite enfance. Dans ce contexte, les carences non résolues en matière de soins et d’éducation de la petite enfance sont devenues plus évidentes : formation insuffisante des enseignants, bâtiments non aménagés, matériel insuffisant, cours surpeuplés au-delà du ratio enfants-adultes recommandé, entre autres. À l’heure de la réouverture des centres éducatifs, il sera difficile de trouver des solutions à ces situations qui ne datent pas d’hier. Dans les pays où la réouverture a déjà commencé, le retour se fait de manière partielle, dans des institutions adaptées et hautement normativisées, dans une perspective hygiéniste.
En raison des circonstances, le discours scientifique sanitaire a eu la plus grande répercussion parmi toutes les voix qualifiées spécialistes des enfances. Il est donc essentiel d’intégrer dans ce discours la préoccupation légitime de nombreux secteurs concernant la violation des droits qui affecte la petite enfance et l’impact que cela peut avoir sur le développement, l’apprentissage et la construction de la subjectivité. Pour une grande partie de ces spécialistes, les enfant doivent retourner aux crèches ou centres de protection et d’éducation de la petite enfance. Dans des conditions de sécurité sanitaire, cette mesure est sans doute nécessaire ; cependant, la question est beaucoup plus complexe.
L’éducation des enfants, en particulier pendant les premières années, est liée aux conditions de soutien et de bien-être fournies par les référents familiaux. Par conséquent, la crise sanitaire, économique et sociale influence les conditions matérielles et environnementales de l’éducation. Il convient donc de se demander quelles autres mesures, outre la réouverture des centres éducatifs, doivent être mises en œuvre par les gouvernements pour assister aux familles dans leurs fonctions de soins et d’éducation ? Comment les actions inter-institutionnelles et inter-sectorielles destinées aux enfants et aux familles s’organisent-elles et se garantissent-elles ? De quelles ressources et de quels réseaux de soins disposent les éducateurs/trices pour répondre aux situations critiques qu’ils/elles doivent affronter ?
Dans les pays où ces questions n’ont pas encore été formulées ou leur réponse est incomplète, il s’avère urgent de mettre en place des groupes de travail spécialisés dans la petite enfance, composés de professionnels de premier plan issus de nombreuses disciplines (pédiatrie, sociologie, pédagogie, psychologie, psychomotricité, etc.) ainsi que de représentants des organismes publics chargés des politiques socio-éducatives et sanitaires. Le paradigme actuel qui considère la santé comme absence de maladie n’inclut pas la petite enfance dans la population à risque. C’est notre devoir que ceci soit discuté afin de surmonter son invisibilisation. La planification d’actions coordonnées facilitera l’activation des ressources institutionnelles, matérielles et humaines, pour une approche globale dans la perspective des droits de l’enfant.
Lorsque la crise sanitaire soit stabilisée ou dépassée, la priorité des gouvernements sera de relancer l’économie. Nous partageons la vision d’Amartya Sen et sa théorie du développement humain fondé sur le bien-être des personnes, en accord avec une perspective humaniste que cette situation de pandémie nous impose. Il n’est pas possible d’atteindre le succès économique sans tenir compte des individus qui composent une société. Selon la théorie de Sen, les institutions de l’État et les organisations sociales occupent une place prépondérante dans la construction et la mise en œuvre des politiques publiques.
La pandémie a intensifié la préoccupation mondiale d’améliorer la relation des individus avec l’environnement, dans le cadre du concept de développement durable. C’est pourquoi les politiques publiques qui soient appliquées doivent promouvoir le développement humain durable.
Garantir la protection et l’éducation de la petite enfance dans ce contexte de crise exige une combinaison synergique qui prenne en compte la perspective des enfants, qui garantisse leur survie, qui assure la réalisation de leurs droits à la santé et à une protection et une éducation complètes, en leur apportant le soutien nécessaire au développement de tout leur potentiel.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
– DEMARCHI, M (2005) Políticas educativas. Réflexiones Algunas -Uruguay https://www.laondadigital.uy/LaOnda2/201-300/241/codicen-Marta%20Demarchi.pdf
-SEN et NUSSBAUM-Comp. (1993) La calidad de Vida. Mexique. Fondo de Cultura Económica https://dialnet.unirioja.es/servlet/libro?codigo=1430
– SEN Y ANAND (1994) Desarrollo humano sostenible: conceptos y prioridades. PNUD, non publié.

Elizabeth Ivaldi – Enseignante du primaire spécialisée en éducation de la petite enfance. Enseignement artistique, gestion et supervision de l’éducation – Ancien inspecteur national de l’enseignement initial – Ancien conseiller de l’enseignement public. Membre actif de l’OMEP Uruguay.
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