L’approche de la garde et l’éducation de la petite enfance est dynamique et en constante évolution. Il s’agit d’un ensemble complexe constitué en partie par des institutions qui se sont établies en tant que premier niveau dans la structure des systèmes éducatifs formels ; mais il faut inclure aussi les milliers d’expériences d’organisations, qui se sont multipliées ces dernières décennies dans les villes et leurs périphéries ; dans les zones rurales, insulaires et de montagne ; qui se sont installées là où vivent les enfants plus pauvres, les migrants ; les déplacés, les exclus, les oubliés, abandonnés à leur sort, ceux qui n’y parviennent jamais ; les personnes qui sont là où le besoin d’être soignés, inclus, protégés et pris en compte est capital. 1
La petite enfance occupe une place importante dans l’agenda public, partout sur la planète. Son identité continue de faire l’objet de débats parmi les éducateurs, les universitaires, les décideurs politiques, les législateurs, les organisations sociales et non gouvernementales et les organismes internationaux publics et privés.
Cette identité regroupe une grande variété d’institutions, programmes, services et politiques qui ciblent leurs interventions sur la naissance et les premières années de vie des enfants. Ce groupement reproduit son hétérogénéité, sa fragmentation et une profonde inégalité.
Une hétérogénéité manifeste dans sa composition : institutions et programmes surgis de multiples périodes historiques, depuis la modernité jusqu’à ces temps de pandémie où l’on s’interroge sur le destin de l’humanité. Un kaléidoscope de points de vue et de perspectives qui enrichit la construction de la citoyenneté dès la naissance. L’hétérogénéité est le fruit d’un besoin et d’une demande convertis en pratique, elle représente le contraire à la réponse unique, uniforme et standardisée, et constitue l’une des plus grandes contributions que l’éducation initiale puisse offrir au monde de l’éducation et à la rencontre entre les générations. L’enfance et l’éducation se veulent « formelles », « non formelles », « scolarisé », « non scolarisé », « de l’État », « du privé » ; des plus riches aux plus pauvres des pauvres. Certaines institutions sont traditionnelles, d’autres confronte le statu quo, mettant en tension les connaissances et les modèles. Il s’agit d’un débat aux significations profondes ; il porte sur la manière dont les enfants sont identifiés comme des sujets, des citoyens, des êtres humains possesseurs de droits et d’une place dans la société.
Fragmentée, parce que sur toute la planète et dans chaque pays, l’organisation et la gouvernance se fait depuis de multiples dépendances institutionnelles, superposées et non coordonnées ; avec des vides normatifs et des critères de régulation contradictoires. La fragmentation territoriale et les ruptures de continuité sont notoires lors des changements de gouvernement. Ces tensions sont particulièrement nuisibles à la participation des enfants, de leurs familles, des éducateurs, des institutions et des services gouvernementaux.
Cependant, l’inégalité est la mère de toutes les iniquités de l’enfance. L’hétérogénéité est une valeur à s’approprier et à apprendre, la fragmentation est un obstacle qui peut être assumé et transformé. Mais l’inégalité, qui ne se réfère pas seulement à la comparaison des revenus et au coefficient de Gini, mais à ce phénomène multidimensionnel, complexe et structurel du capitalisme, représente la couverture qui rend invisible et condamne à jamais des millions de jeunes enfants. L’inégalité dans le monde de l’éducation et la garde des jeunes enfants devient manifeste dans la qualité des services (quelle que soit la notion de qualité considérée) ; un réseau irrégulier et insuffisant (tant au niveau de l’offre que de la demande des familles et des femmes) ; et un financement de plus en plus limité et mal réparti.
Nous sommes confrontés, comme jamais auparavant, aux « inégalités », au pluriel (en tant qu’expression de multiples asymétries) et à l’ « inégalité » au singulier en tant que phénomènes spécifiques. Les inégalités sont exprimées de manière hiérarchique, organisées par classe sociale et revenu familial ; et horizontalement, par la nationalité et la citoyenneté, le lieu de résidence et d’origine, le sexe, la race, l’ethnicité, l’âge, la religion, la langue. Les inégalités horizontales s’ajoutent et s’entremêlent aux inégalités hiérarchiques.
Pour un jeune enfant, les inégalités les plus difficiles à surmonter sont celles qui existent entre les États nations. Les opportunités dans sa vie, l’accès aux biens et aux services, y compris l’espérance de vie, diffèrent largement selon le sort réservé à la naissance dans un lieu ou dans un autre. Ces inégalités à la naissance sont renforcées et durcies par les politiques en matière de migration et de réfugiés et par les limites imposées à la circulation des personnes dans le monde. Ils sont enracinés au niveau local, comme un sinistre réseau d’obstacles à l’accès à des biens et services de qualité et de quantité égales.
L’agencement de l’inégalité en hiérarchie − mondiale, nationale, locale − est le résultat de forces institutionnelles et structurelles qui reproduisent l’ordre hiérarchique actuel et génèrent des dynamiques multi-échelles et relationnelles, en attirant l’attention sur les interdépendances entre les phénomènes à différents niveaux : des tendances historiques mondiales aux négociations locales. Les modèles locaux d’inégalité (foyers et communautés) ne sont pas indifférents des forces nationales et internationales. La production et la reproduction − mais aussi la contestation et l’atténuation des inégalités sociales − reflètent l’interaction des dépendances (inter)mondiales, des politiques nationales et des négociations quotidiennes. Les unités administratives géographiques ou politiques (municipalité, État-nation) ne sont pas toujours suffisantes pour résoudre les inégalités interdépendantes et dynamiques. Les chaînes de soins et les formes d’organisation politiques visant à l’enseignement initial sont des exemples d’unités relationnelles imbriquées.
Toutefois, et pour justifier l’intervention académique, professionnelle, pédagogique et politique, il convient de souligner que les inégalités sont un moteur puissant qui interpelle et accompagne l’évolution historique et les luttes sociales et institutionnelles contre la discrimination et l’exclusion.
Un signal d’alerte : l’intervention sur les inégalités peut être liée à la fois à la dynamique de transformation et aux changements émancipatoires et inclusifs, mais aussi à des stratégies qui perpétuent les structures inégalitaires. La dynamique de la transformation implique des luttes pour les ressources et les significations, mais il est nécessaire de considérer les manières dont le conflit symbolique et matériel fonctionne et se renforce. 2
2- Repensar las desigualdades. Jelín, Motta y Costa. Siglo veintiuno. Buenos Aires. 2020

Adrián Rozengardt. Enseignat, chercheur, Master en planification et gestion des politiques sociales, FLACSO. Doctorant en sciences sociales de FLACSO Argentine. Coordonnateur du programme interinstitutions des Nations Unies «La petite enfance et le système de soins complets. Ancien directeur national de la petite enfance. Spécialiste des projets sociaux avec spécialisation en faveur de la petite enfance, consultant pour l’UNICEF, la BID et l’UNESCO.
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