La petite enfance et l’éducation en temps de pandémie – Victor Giorgi

Directeur général de l’IIN OEA

La présomption que « nous sommes tous égaux face au virus » est immédiatement erronée lorsque nous observons l’évolution de la pandémie en Amérique. Le COVID et ses effets secondaires ont rendu plus visibles les profondes inégalités de nos sociétés ; mais ils ont également mis en évidence les manières prédominantes d’aborder les questions relatives à l’enfance et la place accordée aux enfants et aux adolescents au moment de définir les actions prioritaires.

Réfléchir à la problématique de la pandémie sous l’optique des droits suppose aller au-delà des aspects médicaux-sanitaires et inclure dans cette analyse la situation complexe résultante du virus, mais aussi les réactions qu’il suscite, les actions, les réactions et les interactions, qui résultent en un impact multidimensionnel sur la vie de tous les adultes, adolescents et enfants.

Les défenseur.e.s des droits de l’enfant et les organisations d’enfants et d’adolescents ont dénoncé l’invisibilisation de l’enfance. La menace du virus et l’inquiétude suscitée par le ralentissement économique génèrent un effet d’éblouissement où certains problèmes attirent toute l’attention et laissent d’autres difficultés de côté qui ne sont pas nécessairement moins importantes. Un phénomène de renforcement du regard adultocentrique a eu lieu, où toutes les décisions sont prises en laissant de côté les singularités de l’enfance. 

Les enfants ont dû faire face à une situation impliquant une peur tangible et des fantasmes terrifiants ; la vulnérabilité produite par l’insécurité économique et l’isolement dans des espaces réduits ; la fermeture des écoles et la vie en famille à plein temps ; la perte de contact avec leurs pairs et avec leur famille élargie, les menaces de la violence domestique. Tout ceci les place parmi les plus touchés par le contexte du COVID.

Après un premier silence initial sur les effets de la pandémie sur les enfants, des voix ont commencé à s’élever pour mettre en garde contre les situations de violence, le confinement et la fermeture des centres éducatifs. L’interruption de l’enseignement présentiel à l’école n’était que la partie émergée de l’iceberg perçue par le regard adultocentrique, mais la petite enfance demeure invisible.

La condition des enfants en tant que sujets de droits à part entière dès le début de leur vie est relativisée ou directement ignorée, ce qui conduit à la communauté et aux États à ne pas assumer leurs responsabilités dans la mise en œuvre de politiques publiques qui garantissent l’accès à ces droits. 

Cela implique un ensemble d’hypothèses que nous devons déconstruire :

  • Le seul droit reconnu dans cette étape de la vie est celui des « soins », en tant qu’attention aux « besoins fondamentaux ».
  • Les services de garde de la petite enfance sont simplement considérés comme des services de garde qui ne comprennent pas – du moins dans un sens systématique et hiérarchique – un axe éducatif.
  • Ils représentent donc uniquement des substituts à temps partiel des soins familiaux face au besoin des adultes de disposer de temps pour leurs activités professionnelles.
  • Le corollaire de ce raisonnement serait que le foyer est le meilleur endroit pour l’enfant ainsi que pour sa famille. 
  • Lorsque les adultes restent à la maison en raison du confinement ou du chômage, ces services deviennent inutiles. 

À partir de ce raisonnement, la petite enfance,th qui avait enfin été reconnue comme enjeu de politique publique depuis le milieu du XXe siècle, régresse une fois encore à la sphère privée. 

Le droit des enfants aux stimuli et aux expériences nécessaires à leur développement n’est non seulement pas garanti, mais les familles doivent par dessus le marché assumer toutes seules leur rôle protecteur et éducatif, avec leurs propres conditions et ressources. Ainsi, le degré de réalisation ou de violation des droits de chaque enfant dépendra des outils, des ressources et des capacités dont dispose la famille. 

Les conditions de pratique de la maternité et de la paternité dans nos sociétés sont profondément inégales. De quel soutien les adultes disposent-ils pour soutenir leurs enfants ? Quelle attention, quel temps et quelle énergie doivent-ils consacrer pour résoudre leur survie ? De quel soutien familial et communautaire disposent-ils ? Comment les États réagissent-ils à ces situations ? Comment prendre soin de ceux qui s’en occupent ? (et cela va au-delà des travailleurs de la santé).

Lorsque les niveaux minimaux indispensables pour expérimenter une vie digne ne sont pas assurés, les adultes, parents ou toute personne qui soit considérée une référence, ne seront pas disponibles pour s’occuper des enfants, dialoguer, partager et jouer avec eux. Cela entraîne donc l’absence d’accompagnement adulte, la détérioration des liens, la solitude et l’abandon

Le retrait de l’État comme garant des droits par les services d’éducation et d’accueil de la petite enfance a pour contrepartie la marchandisation des prestations, l’introduction de l’éducation comme un bien marchand et non plus comme un « bien public mondial » comme le considère l’UNESCO. L’accès à un droit ne peut être conditionné par le pouvoir d’achat des familles.

Dans ce contexte et compte tenu des risques de régression sur des droits acquis difficilement, il est nécessaire de souligner le droit à l’éducation comme un droit de tous les enfants quelque soit la phase de développement dans laquelle ils se trouvent : un droit synergique en ce qu’il améliore l’accès aux autres droits ; un droit qui, comme tous les droits, doit être garanti par l’État en tant que garant ultime de tous les droits.

Pour tenir ce pari, il s’avère nécessaire :

  • De renforcer la présence de services publics de qualité sur les
  • De garantir l’exhaustivité des services en surmontant la dichotomie entre éducation et soins.
  • De former les enseignants en continu pour qu’ils puissent gérer les situations auxquelles ils sont confrontés de la meilleure manière.
  • De consolider les familles et les communautés en tant qu’acteurs centraux de la protection des enfants et en tant que garants de la qualité des services.

Víctor Giorgi est l’actuelle Direction générale de l’Institut interaméricain pour les enfants et les adolescents (IIN-OEA), une organisation spécialisée de l’OEA dans le domaine des enfants et des adolescents. Il a été président de l’INAU (Institut pour enfants et adolescents de l’Uruguay). Professeur d’université, professeur titulaire de l’Espace Santé à la Faculté de Psychologie de l’Université de la République et il est également l’auteur de divers articles et publications sur des sujets de sa spécialité. Psychologue et a fait des études de troisième cycle en administration des services de santé, planification stratégique et formation des ressources humaines en santé.

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