Ces dernières années, un consensus croissant s’est dégagé sur l’importance d’inclure les sciences informatiques dans les systèmes éducatifs des pays. Il faut distinguer le passage du paradigme que j’appelle « l’approche TIC ». Cette approche a guidé les politiques d’inclusion technologique dans l’éducation de 1990 à 2010 environ et a mis l’accent sur l’utilisation des ordinateurs et des réseaux numériques pour leur remarquable capacité à contribuer à la construction de connaissances dans divers domaines. Dans cette perspective, les technologies sont considérées comme un moyen d’apprendre et de comprendre le monde. Les systèmes éducatifs se sont donc intéressés à l’enseignement de l’utilisation de divers outils (traitements de texte, tableurs, simulateurs, logiciels de conception, jeux, éditeurs multimédia, documents en ligne, etc.) permettant d’accéder à des contenus liés à différents domaines du programme scolaire.
Depuis 2010, avec la diffusion mondiale du concept de « pensée informatique » (Wing, 2010 https://www.cs.cmu.edu/~CompThink/resources/TheLinkWing.pdf [lien en anglais]) -sans nier le potentiel des technologies numériques – la conviction s’est renforcée qu’il est possible de tirer profit de la façon de penser des acteurs de l’informatique pour une meilleure compréhension du monde. Dans le même temps, les réseaux numériques ont connu une expansion dans précédent, devenant une composante des sphères les plus diverses de la vie humaine. C’est dans ce contexte que s’inscrit ce changement qui propose d’aborder les ordinateurs et les réseaux dans lesquels ils interagissent comme un objet d’étude. Cela implique d’enseigner comment ils sont composés, comment ils fonctionnent et les réseaux interconnectés qui leur permettent de collecter et de traiter des connées dans le monde entier et, élément central, comment les programmer afin de créer avec eux. Une sorte de retour à ce que Seymour Papert a proposé, entre 1970 et 1980, avec l’incorporation des ordinateurs et de leur langage LOGO dans les écoles.
L’une des particularités de ce changement est qu’il est proposé de le mettre en œuvre dès les premières années de scolarité. Par conséquent, bien qu’elles varient dans leur portée et dans la participation des acteurs à leur mise en œuvre, bon nombre des initiatives que les pays lancent contiennent des propositions de programmes scolaires et fournissent des équipements aux établissements d’éducation de la première enfance.
Les motivations des pays vont de la nécessité de préparer les générations futures à un monde hyperconnecté à la satisfaction des demandes de l’industrie ou à la promotion des carrières dans les STIM. Dans certains cas, ils sont tous ces éléments. En fonction de l’orientation, différentes propositions pédagogiques verront le jour.
La technologie comme une dimension pédagogique
Les technologies en général, et les technologies informatiques en particulier, ont bénéficié d’une attribution de neutralité et d’universalité qui les a protégées de toute analyse interne, tout en plaçant les préoccupations des gouvernements et des spécialistes de l’éducation sur l’enseignement des bons usages. Ainsi, la tâche des systèmes éducatifs consiste à affiner nos compétences en tant qu’utilisateurs d’ordinateurs, de smartphones, de réseaux sociaux, d’applications, etc.
Toutefois, un nombre croissant d’études (et de cas) montrent que toutes les technologies n’apportent pas de réponses satisfaisantes dans tous les contextes. Au contraire, il existe des biais dans les conceptions, générés par la perception du monde qu’ont ceux qui les conçoivent. Une perception qui n’est pas (et ne peut pas être) la même dans toutes les parties du monde où cette technologie -dans notre cas, les ordinateurs – est insérée. Même l’UNESCO a exprimé ses préoccupations quant à l’éthique de la conception des robots (https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000253952), ainsi qu’à l’intelligence artificielle et à son enseignement (https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000376709).
Si l’apprentissage est fortement lié aux expériences qui sont construites pour le favoriser, il faut noter que selon le type de matériel et de logiciel utilisé pour l’enseignement de l’informatique, les résultats seront très différents. S’il s’agit d’une proposition centrée sur des outils fermés, peu modifiables et sans articulation avec d’autres technologies, loin de promouvoir des processus d’appropriation critique inscrits dans les finalités de la participation citoyenne, nous serons confrontés à des processus de formation massive à l’utilisation (et à la probable commercialisation) d’un certain produit. Les effets du conditionnement sur l’apprentissage sont loin d’être négligeables… et encore moins dans le cas de la première enfance.
Il est nécessaire d’intégrer la question de la conception des technologies qui entrent dans les écoles et les maternelles comme une question pédagogique de premier ordre.
La participation informatique, une contribution à l’ÉDD dès la première enfance
Ceci est directement lié aux objectifs de l’alphabétisation numérique promus à l’échelle mondiale par les agences, les États et un large éventail d’acteurs sociaux et d’organisations. Puisque l’on s’accorde sur l’importance de préparer les jeunes générations à un monde cyber-physique, un dilemme inévitable se pose : s’agit-il d’une intégration adaptative ou, au contraire, de fournir des connaissances et des compétences pour une participation critique en vue de résoudre les problèmes qui affligent nos communautés ?
Si l’accent est mis sur le premier cas, l’accent sera mis sur la formation de masse à l’utilisation des outils de calcul disponibles. Si, en revanche, l’accent est mis sur la résolution des problèmes non résolus, la perspective souhaitable est celle de la participation informatique (Burke et al, 2016 https://ila.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/jaal.496 [lien en anglais]). En d’autres termes, il s’agit de fournir des outils permettant à l’informatique de faire partie des solutions élaborées par les communautés pour répondre à leurs problèmes. Créer des applications, incorporer des aspects de la programmation et de la robotique dans des dispositifs et/ou des artefacts ou d’autres créations qui constituent des réponses situées, représentatives de modes culturels spécifiques. Les espaces qui promeuvent le logiciel et le matériel libres ont beaucoup à apporter dans ce sens. La mise en œuvre de propositions de formation des enseignants visant cet objectif est tout aussi décisive.
L’OMEP World défend le slogan « Droit dès le départ ». Elle œuvre également sans relâche pour l’Éducation pour le Développement Durable (EDD) de la petite enfance. Les systèmes informatiques auront un impact sur les dynamiques de développement des pays, ainsi que sur la construction des pratiques sociales et individuelles. Il est nécessaire d’inclure le droit à la participation computationnelle comme un droit émergeant dans le monde d’aujourd’hui. C’est un droit qui nécessite des connaissances et des compétences pour son plain exercice et dont l’acquisition doit commencer d}es la petite enfance.La 72ème Assemblé mondiale est une occasion extraordinaire d’inclure cette question parmi les défis de l’éducation en ce siècle. La présente contribution se veut une contribution à cet égard.

Martín Torres est un boursier de recherche doctoral au Conseil National de Recherches Scientifiques y Techniques (CONICET, par son acronyme en espagnol) et à l’Université Nationale de Córdoba (UNC), en Argentine. Il poursuit un doctorant en éducation en sciences fondamentale et technologique de la Faculté de mathématiques, d’astronomie, de physique et d’informatique (FAMAC, à l’UNC), où il effectue des recherches sur l’enseignement de l’informatique aux enseignants de l’ECE. Il est titulaire d’une maîtrise en technologie, politiques et cultures. Il est membre du département d’enseignement des technologies numériques et de l’informatique de l’Institut Supérieur des Études Pédagogiques à Córdoba. Enseignant et formateur.
Cet article reprend certains des résultats des travaux de recherche menés par l’auteur dans le cadre de son mémoire de maîtrise intitulé « Aportes para una apropiación crítica de conocimientos y usos de hardware y software de programación y robótica en la educación para la primera infancia de Argentina » [Contributions à une appropriation critique des connaissances et des usages des matériels et des logiciels de programmation et de robotique dans l’éducation de la petite enfance en Argentine], disponible en espagnol sur https://rdu.unc.edu.ar/handle/11086/23970 | martin.torres76@gmail.com
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