Musiques à l’hôpital- Philippe Bouteloup

Humanisation

Interventions ponctuelles, ateliers réguliers, concerts, spectacles, artistes en résidence, sorties culturelles… Aujourd’hui le mot hôpital ne rime plus forcément avec silence et tristesse. Mais cette situation n’a pas toujours été aussi claire et évidente. Car rien n’est, à priori, plus contraire au monde hospitalier que la musique, qui par définition est festive et bruyante.

À la fin des années 1970, on osait le mot « humanisation ». Aujourd’hui, on parle d’amélioration des conditions d’hospitalisation ou d’amélioration de l’accueil de l’enfant et de sa famille. Cela est certainement politiquement correct

Non pas que l’institution hospitalière, au travers notamment de ses équipes médicales et soignantes, ne soit pas humaine, mais que la technique ait pris le pas sur la dimension « humaniste » de l’hôpital.

Améliorer la qualité de vie de l’enfant, de sa famille et de l’équipe soignante par l’intégration de la musique dans les services pédiatriques, permettre à chacun d’accéder à l’art vivant : tels seraient, aujourd’hui, les mots d’ordre du musicien à l’hôpital. 

En travaillant en direction des nouveaux nés en difficulté, de jeunes enfants hospitalisés et de leur famille, il s’agit bien de culture et de couture. Faire naître un fil relationnel, tissé du lien entre parents, enfants, soignants, renforcer les liens avec l’extérieur de l’hôpital, avec la Cité. Faire une place à la musique vivante, une sorte de prévention qui viserait à réduire les conséquences négatives dues à l’hospitalisation. Pourquoi priverait-on un enfant de sa chanson préférée sous prétexte de maladie ou d’hospitalisation ?

Art de participation

Historiquement, les choses ont évolué très vite, ces vingt dernières années, parce que les musiciens intervenant à l’hôpital ont prouvé leur professionnalisme sur le terrain et fourni un intense travail de réflexion et de communication. 

La musique, par essence art de participation, rassemble, fait tomber les barrières de l’âge, des langues, des cultures. L’enfant en perte d’autonomie, fragilisé par l’hospitalisation, peut échanger, dialoguer, partager, construire autour de l’imaginaire et de la dimension poétique de la musique. La chanson apprise dans la chambre va accompagner le malade jusqu’au bloc opératoire. L’instrument de percussion confié à l’enfant va devenir doudou sonore ou objet à découvrir, à explorer. Le musicien va, par exemple, s’installer dans un couloir de pédiatrie pour jouer et chanter avec quelques enfants et leurs parents. En néonatologie, la maman va retrouver le contact avec son bébé à travers une berceuse de sa propre enfance.

Elle contribue à améliorer le quotidien et ranime le sens de la présence à la vie.

Parents, enfants et professionnels s’affairent autour de l’objet musique. On découvre, on improvise, on se laisse aller au rythme du voisin.

La démarche de Musique et Santé est celle d’un acteur dans la Cité, dans la vie de tous les jours. Nous avons, dès l’origine de l’association, privilégié les actions en direction des bébés, en considérant la musique comme partie prenante de l’éveil culturel des jeunes enfants : langage, travail corporel, relation aux autres, découverte de l’univers sonore… Aujourd’hui nos actions se sont élargies aux adolescents, adultes et personnes âgées.

Diversité

La diversité des modalités d’intervention montre qu’à l’hôpital, la musique peut prendre de multiples formes. Que le patient peut y être spectateur mais aussi acteur (faire pour/faire avec). Qu’il peut s’agir d’un événement ponctuel ou d’une présence régulière. La musique peut être de l’ordre de la distraction, de l’émotion, de la surprise, de la découverte, de la création et tant d’autres choses encore. Les lieux d’intervention peuvent également être multiples : au chevet du malade, dans la salle de jeux, dans le couloir, l’escalier, au bloc opératoire, dans la salle de pré-anesthésie… Aucun espace n’est interdit et, si la salle d’attente devient salon de musique, c’est grâce à la volonté et au partenariat avec les équipes médicales et soignantes, mais aussi aux compétences du musicien.

La musique à l’hôpital est la confrontation de deux univers opposés. Pour l’artiste qui s’aventure sur les terres hospitalières, le choc sera parfois brutal. Cette rencontre va bien souvent le transformer, autant qu’il va transformer ceux qu’il va côtoyer. Il lui faudra faire preuve d’ouverture, d’écoute et partager les valeurs fondamentales du respect de l’autre et de la tolérance. Savoir, savoir-faire et savoir-être, pour pouvoir transmettre plaisir, passion, curiosité, désir… Poursuivre une activité professionnelle hors du champ de l’hôpital est pour, ce musicien, la meilleure façon d’apporter de “l’extériorité”.

Transmission et partenariat

Musique et Santé a choisi d’axer également son travail sur la formation des équipes éducatives et soignantes.

Réfléchir à la musique comme moyen d’échange, de communication et de mieux-être, ainsi qu’à sa place dans les soins relationnels ; développer la qualité de l’accueil et faciliter les relations entre les équipes soignantes, les patients et les parents ; faire que la musique entre dans le quotidien des soignants.

Former les équipes soignantes, c’est leur transmettre notre passion, notre savoir-être, mais également des outils théoriques et pratiques pour qu’elles soient le relais quotidien de notre travail.

Évaluation et recherche

L’évaluation a toujours été une orientation essentielle de notre travail. Nous devons, au-delà du constat concret du terrain, nous donner les moyens de valider notre présence en milieu de soins.

Il s’agit donc d’un travail complexe, car l’évaluation doit porter sur des critères qualitatifs et non seulement quantitatifs.

Nous avons par exemple travaillé sur des thèmes comme la participation des parents, le turn-over et le taux d’absentéisme des soignants, le fait que les soignants chantent avec le musicien, qu’ils viennent l’accueillir, l’organisation d’échange avec une institution culturelle extérieure…

Nous réfléchissons également à des sujets comme celui de la contribution de l’enfant : de l’enfant passif à l’enfant acteur, l’amélioration de la confiance en soi, la musique comme facteur de rencontre, le développement de l’expression des émotions, l’amélioration des interactions entre enfants, parents et soignants, le musicien comme porte-parole des émotions de l’enfant, etc.

L’enjeu est de taille et le musicien ne peut, à lui seul, avoir l’ambition et la prétention de transformer les lieux de soins.

Musicien professionnel

L’hôpital, haut lieu de technicité, attend de tous ceux qui y travaillent un niveau professionnel très élevé. L’intervention du musicien participe à ce dont l’enfant a le plus besoin pendant son hospitalisation : une présence bienveillante et continue, non menaçante, car distincte de celle de l’équipe de soins qui accompagne l’enfant. Le message musical est alors une communication riche, qui remplace beaucoup de paroles bien intentionnées, mais parfois peu signifiantes pour l’enfant. Cette présence fournit, encore une fois, un repère au milieu de la multitude d’intervenants affairés qui approchent l’enfant. L’hôpital n’est plus hôpital-silence mais hôpital-expression, où le malade retrouve la parole. C’est dans cette démarche éthique et humaniste que l’art et la culture trouveront toute leur place et leur sens.

Philippe Bouteloup, musicien et formateur, est directeur de Musique et Santé depuis sa création en 1998. Il exerce dans différents cadres institutionnels auprès d’enfants, d’adolescents et d’adultes : écoles maternelles et élémentaires, conservatoires de musique, services de pédiatrie, de néonatologie et de pédopsychiatrie, crèches, Instituts Médico-Éducatifs…

Il enseigne aujourd’hui au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris/Philharmonie de Paris et au Centre de Formation de Musiciens Intervenants, Faculté d’Aix-Marseille. 

Il est impliqué dans la formation de musiciens d’ensemble orchestraux qui souhaitent intervenir dans le monde de la santé (Orchestre National de France, Ensemble Accentus, Centre de Musique de Chambre de Paris, Orchestre National des Pays de la Loire, Orchestre National d’Ile de France, Orchestre National de Lyon…). 

Il a publié aux Éditions Erès : « Des musiciens et des bébés » et « La musique et l’enfant à l’hôpital ».

Son dernier disque pour le jeune public « Ti-Train » a obtenu le Prix Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros. Il a fait l’objet d’un spectacle et d’une tournée en France.

Il a été fait Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres par Mme Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la Communication.

[1] Jean Lombard, Bernard Vandewalle, Philosophie de l’hôpital, L’Harmattan, 2007, p.7.

[2] Ibid., p.110.

[3] Sur le plan international, voir le travail de Costanza Preti : Music in hospitals: Defining an emerging activity, The Second International Conference on Music Communication Science, 3-4 Décembre 2009, Sydney, Australie, p.  9-82.

[4] Caroline Simonds, Bernie Warren, Le Rire Médecin, Journal du Docteur Girafe, Albin Michel, 2001, p. 150.

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